journal Albert - août 1867

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Dublin Core

Titre

journal Albert - août 1867

Date

08/1867

Résumé

Ce petit carnet est le tout premier agenda/journal d'Albert.

Août 1867 : Albert a 16 ans.

Il passe ses vacances à Carteret dans une maison (chaumière – sic) en bord de mer avec sa mère et ses frères (Emmanuel, Pierre) et Jeanne.

Devoirs de vacances, messes, Bains de mer et observation lyrique de la nature.

Il s’ennuie et attends avec impatience le retour de son père.

agenda/journal Item Type Metadata

Location

Cherbourg

Transcription

Londres, le 17 novembre 1869

Londres est triste et noire, couverte de brouillard que faire, sinon penser aux jours passés et aux jours à venir. Commençons par les premiers.

Je vais donc recopier et continuer mon journal commencé le 9 août de la triste année 1867. Ce journal était écrit à la hâte souvent au bord de la mer, dans ma chambre et auprès du cercueil de mon père tant chéri.

Il commence au moment où, sortant du collège, nous allâmes tous avec ma mère et mes frères et soeur passer quelques moments de repos à Carteret au bord de la mer espérant bien n’en revenir que pour aller recevoir mon père à Cherbourg.


Le 9 août 1867 – Carteret

Je commence aujourd’hui le journal de mes pensées intimes.

Partis ce matin à 9h de Cherbourg, nous sommes arrivés ici à 11h1/2. Je mets de côté les détails insignifiants.

Je viens d'arriver sur la grève au pieds des falaises de schiste noir. Assis sur un bloc abrité par d'autres, j’admire devant moi la vaste mer qui gronde sourdement, car ici aucune digue ne la retient.

Dieu parle à mon âme, je suis un peu triste d’esprit, car cette mer, si terrible souvent, me sépare de mon bon père. Encore un mois et il se trouvera au milieu de nous. Mon Dieu, protégez le et ramenez nous le en bonne santé. Protégez moi aussi mon Dieu, afin que mettant vos grâces à profit, j’arrive l’année prochaine à cette carrière que j’ambitionne et dans laquelle, j’espère bien vous servir.

Demain matin, si nous sommes installés, je me remettrai au travail et j’écrirai ce journal à l’encre car ce mauvais crayon me gêne bien.

Que vais je faire, vais je dessiner ? J’ai apporté mon album (ici 9 lignes insignifiantes barrées - note d’Albert en 1869)

Voici la première fois depuis un an que je revois cette grève; elle n’a pas changé. Ce sont toujours les mêmes criques et les côtes de Jersey sont toujours bien à l‘horizon. Quel beau spectacle !

Hier j’ai dit adieu à mon bon Louis. Il m’a promis de m’écrire. J’ai dit adieu aussi à Mme Orry (?), à Mr et Mme de Béranger, toutes personnes que j’aime beaucoup. Ces deux familles m’ont inspiré la plus vive sympathie. Elles vont, ainsi que la famille Carlet (?), me faire un peu défaut pendant ces vacances.

Mais n’ai-je pas ici une bien chère petite mère, mes frères et soeur, auxquels je vais prodiguer toute mon affection.

Je suis un peu triste en pensant que je ne reverrai toutes ces bonnes personnes que dans un mois au plus tôt. Mon Louis, surtout va me faire bien défaut, mais nous nous réunirons matin et soir dans le coeur de Jésus et de Marie par la même prière.

Je m’arrête ici à 50 ou 60 pieds au dessus du niveau de la mer à quelques mètres du bord de la falaise. Un horizon immense s’ouvre devant moi, borné au nord par le Nez du Rosel et au Sud par les dunes de Portbail. Un vent assez fort m’empêche d’écrire et fait briser avec force la mer sur les rochers situés au dessous de moi.

Je suis obligé de descendre d’une 20aine de pieds dans un vieux fort pour pouvoir écrire, car le poste que j’occupe ici est vraiment un peu dangereux; et bien qu’assis dans un fauteuil naturel à 3 pieds du bord, il y a de quoi donner le vertige. Je le pardonnerai (?) ici plutôt 3 fois qu’une à cette bonne Mme de Beranger.

Me voici enfin dans un poste moins périlleux. J’écris debout dans une poterne de factionnaire de 2 pieds carré et de 6 de haut. A travers l’embrasure, je peux admirer la mer. Cette vue porte l‘âme à Dieu et je ne puis m’empêcher de lire ici un chapitre de l'Imitation*. Et je fais une (bonne, barré) petite prière pour cette bonne G Orry afin d’obéir ainsi au désir de Mme de B.

Cette première journée de l’arrivée me semble triste. Séparé de toutes les personnes que j’aime tendrement, sauf de mes frères et et soeur, leur absence me pèse, mais je l’offre comme un sacrifice d’expiation à Notre Seigneur.

Le spectacle que j’admire ici est merveilleux: autour de moi rochers couverts de lichens jaunâtres entre lesquels se trouvent des places de gazon émaillées de mille fleurs intéressantes et inconnues à Cherbourg. Le soleil sur son déclin se reflète sur la mer comme sur un miroir et fatigue mes yeux. Mais il faut songer au départ.

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Il s’agit d’un livre, écrit en latin au début du 15ème siècle, à très fort tirage « L'Imitation de Jésus-Christ ».
Il exhorte à imiter Notre Seigneur Jésus Christ.  


10 Août 1967 – Carteret

Ma promenade d’hier soir m’a conduit à la vieille église , monument en ruines, dont il n'existe guère que les 4 murs, et une petite partie de la voute.
On peut y reconnaître comme à la vieille église d’Equeurdreville, les assises disposées en fougère indiquant une construction celtique. Je grimpe sur un pan de mur pour voir plus au loin et je rentre un peu fatigué à la maison.

Aujourd’hui, après m’être levé à 5h1/2, je me mets au travail à 6h1/2 jusqu’à 9h1/2. Après quoi je sors avec Emmanuel faire une excursion dans les dunes/plages immenses de sable blanc recouverts d’une herbe dure et raide. Sur la plage, au lieu des rochers, des falaises situées en face de nous, on aperçoit une grande quantité d’os de seiche commune, des œufs séchés de raie, des plaques de lièges arrachés aux filets des pêcheurs.

La mer, toute basse laisse découverte une plage d’un kilomètre et demi de longueur ; Ma mère s’étant inquiétée de mes courses seul, je lui ai promis d’abandonner le sentier des douaniers, sentier large de 2 fois et demi la largeur de mon pied et qui serpente en corniche le long de la falaise à quelques pieds de l’abîme sur un terrain incliné souvent à 45°.

Mon temps est maintenant réglé ; j’ai obtenu la permission d’assister le matin à la messe de 6h1/2; c’est pour moi un grand bonheur, cela me rappelle à la fois Valognes et le commencement de mes vacances à Cherbourg.

Je vais maintenant les pieds nus dans mes espadrilles. Le soleil ne va pas tarder à me brunir le teint et je reviendrai à Cherbourg brun comme un mulâtre si le beau temps continue toutefois.

Quelques grillons noirs au dos doré viennent de temps en temps courir sur mes jambes nues et montent jusque sur mon cahier. Nous admirons avec la lorgnette les côtes de Jersey. Elles sont malheureusement un peu embrumées. Je ne manque pas ici de sable pour sécher mon journal et ma plume que je remets dans ma poche.

Dimanche 11 Août 1967 – Carteret

Hier je suis rentré ensuite à la maison. Après le dîner nous sommes tous partis sous la baie du petit fort pour nous baigner. J’étais habillé on ne peut plus simplement ; mon pantalon, ma chemise et mon paletot boutonnant jusqu’au cou, je tenais à la main mes espadrilles.

La gréve était couverte d’anatifes* bleus ; jamais je n’en n’avais vu qu'un ou deux de cette espèce là Carteret . J’ai d’abord peu nagé car les vagues étaient presque aussi haute que moi ; mais je me suis peu à peu encouragé et j’ai nagé. Les vagues me prenaient, me soulevaient doucement à 3 ou 4 pieds puis me laissaient doucement retomber dans un pied d’eau. Quand on restait debout, la lame vous frappait désagréablement sur le dos et sur la tête à moins que l’on ne l’évitât en sautant avec elle.

Maman craignant un peu les vagues, elle n’a pas nagé. Une fois baigné, je me suis roulé dans le sable sans me déshabiller de sorte qu’au bout d’un quart d’heure mon habit de bain étaie sec sur moi. Nous avons aperçu et suivi avec la longue vue un bateau à vapeur partant de Porbail et allant à Jersey, le vent était assez fort , il marchait à la fois à la voile et à la vapeur . On espère qu’il reviendra à Carteret pendant les mortes eaux . Peut être irons nous à Jersey.

J’attends avec impatience des nouvelles de mon bon père . Quand donc en aurons nous ? Il me tarde tant de le revoir . Mon journal écrit le plus souvent sur mes genoux et en plein air est bien mal écrit ; je le soignerai mieux désormais.

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Crustacé pédonculé qui s’alimente par filtration

Lundi 12 Août 1967 – Carteret

Je continue au mieux. J’écris mon journal d’hier après 2 heures et demi de travail. Je me suis habillé et je me suis rendu à Barneville avec Emmanuel car j’aime mieux faire 2 kilomètres et demi pour aller et venir et avoir ensuite la messe dans les conditions qui me plaisent. Je n’aime ni être trop en vue, ni être foulé et et incommodé ce qui m’arrivait souvent ici l’année dernière.

A Barneville, l’église est beaucoup plus vaste et on trouve sa place au milieu de tout le monde sans avoir besoin de se mettre dans le chœur comme à Carteret. Nous sommes revenus pour dîner. Je suis ensuite retourné seul à Barneville pour les vêpres. A cause de la moisson, il n’ y avait presque personne à l’église . On profitait du beau temps pour scier et rentrer les blés. Mais bien qu’un peu loin, j’aime beaucoup aller entendre les offices à Barneville , je dis mon chapelet en marchant.

Après les vêpres, je me suis baigné dans le havre* où l’eau commençait à monter : j’en ai eu à peine assez pour nager. Je me suis ensuite établi dans le foin pour lire à mon aise « l’allumeur de réverbère » . Je me suis un peu fâché avec Emmanuel qui est un peu tracassier. Mais je veux être plus patient à l’avenir, le veiller, le protéger comme me l’a recommandé Mr Duval.

J’étais légèrement fatigué hier soir en faisant mes 9 heures sous un soleil brûlant . Je me suis couché vers 9h au cri des grillons domestiques et des crapauds chantant dans notre cour. La mer faisait entendre au loin un sourd murmure et, éclairée par la lune, elle paraissait d’argent. Le ciel pur est parsemé d’étoiles. C’était vraiment un beau spectacle !

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Crique ou baie sur la mer permettant un abri pour les bateaux ou un port côtier naturel.

Mardi 13 Août 1867 – Carteret

Je fais donc aujourd’hui mon journal d’hier. Levé comme d’habitude à 5h 1/2, je me suis mis au travail à 7h après déjeuner et jusqu’à 10h 1/2. La chaleur était étouffante et cependant, Maman, Emmanuel Jeanne et moi avons été, malgré cette chaleur accablante jusqu’à la vieille église.

Nous sommes descendus dan la grotte en bas et nous avons pris un bain qui nous a bien reposé. Nous avons fait à notre grand amusement un feu au fond de la grotte, nous l’avons couvert d’une forte couche de varech bien sec qui a brûlé avec une fumée intense pendant notre bain. En nous en allant nous avons mis un gros tas qui a très bien flambé.

La route était magnifique: des papillons tout bleus ou bien jaunes, blancs et noirs , bruns rouges etc. C’était admirable ! Mille petits oiseaux s’envolaient des haies autour de nous.

En revenant à la maison, j’ai pris un bain dans le peu d’eau qui restait dans le havre.
Quelque chose m’a fait un grand plaisir . C’est de trouver en arrivant ici un bénitier et de l’eau bénite à la tête de mon lit .

J’ai bien eu quelques petites disputes avec Emmanuel, mai je veux être plus patient désormais.

Ce matin, le temps est encore magnifique.

Mercredi 14 Août 1867

Une chaleur accablante nous a obligé hier de fermer portes et fenêtres et d’arroser la maison. La chaleur était plus intense en dehors que dans la maison

J’ai écrit une longue lettre à mon cher petit père, malheureusement cette lettre est mal écrite. Obligé de rester à la maison pour ne pas inquiéter maman en sortant par cette chaleur. Je me suis mis à lire "l’Allumeur de Réverbères", puis à fabriquer sur papier un damier que j’ai ensuite lavé à l’encre de chine. Le soir, nous avons pris un excellent bain de mer en face de la maison. Je m’y suis piqué à ce moment avec une une queue de raie morte , mais l’alcali que j‘ai versé dessus immédiatement a neutralisé les mauvais effets de la piqûre.

Nous sommes allés nous promener tous les 3 sur la route de Barneville au clair de lune et nous avons rapporté des vers luisants qui sont dans un grand verre avec de l’herbe.

Le matin en me levant, j’ai pris un bain de mer ; je me suis mis ensuite au travail après avoir déjeuné. La chaleur menace d’être forte à midi ; je ferme les fenêtres et les rideaux blancs pour l’empêcher d’entrer. Le soir, promenade au hameau des Landes et dessiné un peu. Là dessus nos vers luisants ayant pondu des œufs, je me suis aperçu avec amusement qu’ils étaient tous lumineux dans l’obscurité. J’en ai écrasé deux et la phosphorescence a cessé.Alors, les vers ne brillaient presque plus.

Jeudi 15 Août 1867

Je suis encore allé à l’église de Barneville avec Emmanuel. On y est fort bien. Un charmant carillon de 9 cloches jouait un cantique que j’ai cru reconnaître pour un cantique à la Sainte Vierge.

La messe a été fort longue car on a lu au prône* une longue lettre de l’évêque ainsi qu'une du Pape et une du Ministre des Cultes touchant les prières que l’on devait adresser au ciel pour le souverain et sa famille.

Monseigneur Bravard racontait la grande fête de Rome ; 500 évêques étaient présents. Ils étaient arrivés à la hâte des 5 parties du globe sur un seul désir du Saint Père. 68 évêques français s’y trouvaient.

La basilique de Saint Pierre contenait de 150.000 à 200.000 personnes (sic). Le carillon a recommencé à la fin de la messe et à l’élévation.

L’après midi, nous sommes partis ensemble pour les vêpres , mais j’avais 1/2 km d’avance sur Emmanuel. La solitude est quelquefois un danger, mais ici, dans la campagne, au bord de la mer, la solitude me plaît. Elle porte à la pensée de Dieu dont on aperçoit tout autour de soi la grandeur et la majesté.

Seul, je me laisse aller à une foule de pensées sur Dieu , puis d’autres plus tristes leur succèdent. Une sorte d’inquiétude m’agite en pensant à mon bon père ; l’océan le sépare encore de nous. Dans un mois, il sera près de nous, mais on craint toujours un malheur. Maman s’attriste et s’inquiète ; Mon Dieu envoyez nous bientôt des nouvelles .

Puis je viens à penser à mon avenir, à ma position qui sera décidée dans un an et je frémis à la pensée de mes examens Je pense encore à mes amis absents ou éloignés. Enfin, la pensée de la mort vient achever le cours de ces pensées tristes et noires (1). Et pourtant j’aime la solitude qui me livre tout entier à mes pensées. 

(1) note d’Albert à Londres du 28 nov 1869 en bas de page  : Hélas, tout cela n’était qu’un pressentiment de ce qui se passait à Saratoga le jour même !

Je n’ai appris qu'a Barneville même que les vêpres étaient à 2 h 1/2 au lieu qu’à 2h comme je le croyais. Je les ai lus alors à l‘église, puis m’apercevant que la pluie commençait nous sommes revenus ensemble. En arrivant à la maison, la pluie s’est mise à tomber à flots et nous nous sommes enfermés chez nous pour le reste de la journée.

Alors, j’ai lu "l’allumeur de réverbères", charmant roman américain de Miss Cummins. Dérangé par la messe, les vêpres, la toilette etc. je n’avais pas eu le courage de travailler ce jour là. Le soir maman me le fit remarquer, j’en fus ému et mon amour propre s’en froissa, aussi je résolus de le rattraper le lendemain.

Je me couchais les larmes aux yeux demandant pardon à Dieu de ma paresse et l’implorant de me donner le courage de tout réparer le lendemain.

* Prière ou sermon que fait le prêtre le dimanche

Vendredi 16 août 1867 – Carteret

Le Seigneur m’a écouté, je me suis levé de bonne heure ce matin et, depuis 6h1/2 jusqu’à 12h, je n’ai pas cessé de travailler.  J’ai employé 2h à l’anglais, 2 autres heures aux mathématiques (arithmétique et algèbre), et le reste du temps au français.

Après dîner (12h), j’ai lu un peu et maman a désiré aller se promener sous les dunes. Pour moi, je désirais fortement aller me promener à la grotte sous la vieille église. Maman s’en aperçu et m’a laissé complètement libre. Mais bien que cela m'est ..., j’ai préféré l’accompagner dans un lieu qui me déplaisait pour lui faire plaisir.

Nous avons pêché des crabes, des grelins et des flies avec nos mains, des anguilles coup de bâton ou de cailloux. J’en avaix assommé une avec mon baton, elle était à moitié morte, 3 fois je l’avais frappé, enfin elle s’enfonça dans le sable ou se cacha sous une pierre. Toujours est il que je ne pus la retrouver. Emmanuel en a pris une petite qu’il avait étourdie d’un coup de caillou. Ce soir, c’était grande marée, nous avons pris un bain de mer, elle était un peu froide. J’ai terminé "l’Allumeur de R". Je le recommanderai.

Samedi 17 août 1867 – Carteret

Aujourd’hui tout le monde vient de partir (8h) au marché de Barneville sauf les deux petits avec Clémentine et moi qui reste à travailler. A 9h1/2, j’ai été voir M. le Curé et les eaux salutaires de la pénitence ont rendu mon cœur à Dieu.

J’ai été ensuite à la rencontre de maman sur la route. Une fois rentrée, je l’ai aidé à faire les confitures de prunes en ôtant es noyaux et en les brisant pour ôter les pépins. Après dîner, je suis aller me promener seul à la vieille église pour dessiner la grotte. Je l’ai manquée et je suis rentré à la maison par la mer des sables.

Dimanche 18 août 1867 – Carteret

En revenant de a messe à Barneville, je suis rentré le premier à la maison. O bonheur j’aperçois une lettre de petit père que le facteur vient d’apporter accompagnée de 2 autres dont je ne regarde pas même l’adresse. Rien de plus pressé que de saisir la lettre, la cacher dans mon paletot et courir à la rencontre de maman pour lui en faire la surprise.

Elle contenait plusieurs lettres différentes et une grande tristesse est venue se mêler à notre ... quand cette lettre nous a appris que l’arrivée si désirée de mon bien aimé père est retardée de 20 à 30 jours. Mais cette lettre nous a délivré de toute inquiétude, qu’elle nous a rendu bien heureux, malgré tout.

Pour ma part, j’en ai eu 2 de mon père et une des deux lettres restées sur la table était à mon adresse. Je m’empresse de la décacheter. C’était une excellente lettre de mon ami de collège Bonamy. La troisième adressée à maman était d’une dame de ses amies qui lui annonce son arrivée ici avec son fils pour les premiers jours de septembre

Cela nous aiderai à raccourcir le temps des vacances que je désire voir passées le plus le plus vite possible pour voir aussi le plus tôt possible mon cher petit père.

Cet après midi, j’ai vu de curieux phénomène de végétation sur la cime d’un saule coupé en têtard où j’étais grimpé. J’ai trouvé 2 pieds d’églantiers, 2 pieds de soucis et un pied de chèvrefeuille qui poussaient à merveille sur cette espèce de plateforme triangulaire large de plusieurs pieds carrés formée par l’ébranchement de l’arbre. Dans le creux d’un saule voisin, poussait un jeune chêne vieux de 2 mètres. C’était vraiment curieux de voir cet arbre poussant sur la cime d’une autre espèce toute différente.

Note d’Albert datant de Londres 28 nov 69 :
Je me rappelle encore aujourd’hui qu’à coup de couteau, j’avais taillé à droite et à gauche et m’étais formé une espèce de niche sur ce vieil arbre à moitié pourri. Le bois mou en était encore comme une éponge et j’y ai ramassé un tas de petites mouches d'un vert métallique écloses dans les herbes.

Lundi 19 août 1867 - Carteret

Aujourd’hui, nouvelle joie. Encore une lettre de mon petit père et une lettre du père Vignon adressée à nous 2, Emmanuel et moi. Combien toutes ces lettres nous réjouissent le cœur et nous font plaisir. Je viens de répondre à Bonamy avec lequel je continuerai, j’espère ces relations amicales, bien qu’il doive nous quitter pour aller à Paris au Lycée Charlemagne.

Je continue à travailler tous les matins, mais malheureusement, je ne puis continuer, comme je le faisais à Cherbourg, à aller à la messe tous les matins ; cela me dérangerait un peu trop pour mon travail et mon déjeuner.

Un joli brick est passé ce matin ; il demandait un pilote. Il a mis toutes voiles dehors et n’a pas tardé à doubler de Cap Carteret.

La chaleur a été lourde et étouffante cet après-midi ; à la marée montante, vers 6h, de gros nuages orageux venus de Jersey et du large se sont abattus sur le cap. De temps en temps le soleil prêt de se coucher dardait au travers ses rayons d’un rouge de feu ou des nappes d’une lumière blanche qui se dessinait admirablement sur le fond gris du ciel.

L’orage a commencé alors ; la foudre grondait sourdement et des éclairs illuminaient de temps en temps le ciel. La nuit est tombée rapidement et fort épaisse. Bien que le ciel fut très sombre tout autour de nous, il était assez clair au zénith et laissait apercevoir la brillante étoile du soir. A la grande ourse, mais je n’ai pas pu réussir à découvrir la polaire.

L’air était très calme ; on entendait au loin la mer qui, en se brisant sur les dunes, produisait des sons étranges et fantastiques, imitant des mugissement prolongés et des plaintes lugubres.

Après souper, nous sommes sortis dans le jardin qui n’était éclairé que par un léger jour stellaire. Les éclairs devenaient de plus en plus fréquents, mais le bruit du tonnerre ne se faisait plus entendre que rarement. Les éclairs partaient de 2 points de l’horizon, les uns, de fort loin à L’Ouest, les autres, plus rares, mais plus éblouissants à l’Est. On en voyait qq fois partir deux en même temps des deux points extrêmes de l’horizon ou du même côté. C’était un spectacle vraiment attrayant et l’on serait resté des heures entières à le contempler.

Mardi 20 août – Carteret

Mon Dieu, que ces vacances me pèsent. Je n’y trouve plus de plaisir, plus de joie maintenant que j’attends mon bon père. Quelle qu’ennuyeuse soit la vie de collège, je voudrais la voir recommencer bientôt ou mieux, je voudrai déjà être au mois d’octobre pour voir mon père chéri.

Avec quelle impatience, je l’attend. Heureusement ses lettres vont nous arriver plus fréquentes et elles m’aideront à l’attendre avec patience.

Quel dommage, il n’est jamais là pendant les vacances ; il les regrette beaucoup lui aussi ; il se serait tant amusé avec nous.

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Note d’Albert :

Londres 28 novembre 1869

Me voici arrivé à la partie si pénible de mon journal où sont inscrits mes jours de souffrance hélas,je crains presque de les relire. Depuis ces tristes jours, je n’ai pas rouvert mon journal.

Mon Dieu, je vous offre les souffrances et les peines que vont raviver ces lignes. Prenez les en expiation de mes fautes ; Depuis j’ai encore souffert, mon Dieu, le bonheur reviendra t’il un jour dans notre maison ?

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Lundi 26 août 1867 - Cherbourg

Mon pauvre journal, qu’y a-t-il donc, qu’est-il donc arrivé ? Je te date de Cherbourg. Pourquoi y suis-je si tôt ? Pourquoi t’ai-je abandonné depuis 6 jours ?

Hélas, mon Dieu, donnez moi le courage de tout dire, de tout écrire ; je veux tout raconter, car plus tard, je relirai ces lignes, elles me rappelleront de tristes souvenirs.

Et bien, mardi 20, je venais de prendre un bain avec maman et Emmanuel. Nous avions pris grand plaisir à nous laisser entraîner en nageant par le courant rapide du havre.

J’avais à peine quitté mon journal depuis qq heures, quand mon bon père Vignon se présenta à la porte de notre chaumière ; nous poussons des cris de joie, nous courons nous jeter sur lui, et dans mon empressement à me rechausser, je déchire même ma chaussette.

Nous le pressons de question. Pourquoi êtes vous venu ici ? D’où vous dénichez vous etc... Il donne pour motif ses parents qu’il vient voir à Briquebec, une visite au curé de Carteret, etc..

Il visite ma chambre, se laisse facilement entraîner dans celle de maman, il s’assied et se souvient qu’il a laissé son bréviaire. Il sort de chez nous et va pour le chercher.

Hélas, je sais aujourd’hui que ce n’était qu’un prétexte, le pauvre cher père souffrait trop. Il ne pouvait plus se contenir ; il n’avait pas le courage de remplir sa triste mission. Il était à peine sorti que je couru après lui.

Je trouve Emmanuel à la porte de l’auberge où le père Vignon était entré pour chercher son bréviaire où il savait bien qu’il n’était pas puisqu’il se rappelait parfaitement l’avoir laissé dans la voiture.

Enfin, il entre et il nous fait éloigner, prétextant une mission pour maman. Je reste dans la cuisine ; au bout d’un moment , j’entends des sanglots, des cris « mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu. La voix du père Vignon dont je ne pouvais distinguer les paroles.

Célestine inquiète me demande qu’est ce qu’il y a, qu’y a t’il ? Je ne pouvais répondre : je ne savais rien. Inquiet, je cherche à éloigner Emmanuel qui, de dedans la cour, n’avait aucun soupçon de ce qui se passait. Je veux l‘envoyer faire nager un bateau ; le pauvre enfant refusait dans la crainte de laisser partir le père Vignon sans le revoir. Je lui promets que je l’avertirai, que je l’appellerai ; il refusait.

A ce moment, maman arrive dans la cuisine, effarée. Elle nous appelle, ne nous voit pas et se précipite sur nous en nous disant «  il ne vous reste plus que Dieu et moi, mes pauvres enfants. Votre père est mort ».

Alors Mr Vignon entrouvre la porte, fait un signe convenu d’avance que je n’aperçus pas et, une minute après arrivent Maman Cappe, Mme de Beauvoir et la sage femme (ma mère nourrissant encore mon plus jeune frère, on craignait des accidents de lait).

La voiture qui les avait tous ammenés ainsi que je l’appris plus tard, s’était arrêtée par précaution au loin sur la route avec ces personnes qui étaient arrivées sur un signe de notre aubergiste averti lui même par celui de Mr Vignon.

On explique tout alors. M de Beauvoir avait reçu une dépèche télégraphique, l’avait appris à Cherbourg à ma pauvre grand-mère et était partie le lendemain matin pour Carteret, avec elle, la sage femme et le père Vignon qu’il avait fait avertir.

On pleure ; maman ne verse pas une larme ; Emmanuel sanglotte ; Pour moi, je me tords de douleur, mon coeur était brisé, broyé comme serré dans un cercle de fer ; je ne pleurais pas.

M de Beauvoir me donne la dépèche que je serre dans mon buvard. On explique à maman la nécessité de partir de suite pour Cherbourg ; ma pauvre mère voulait rester.

M de Beauvoir et M Fournesi (?) sortent, pendant qu’aidés de mon excellent père Vignon, nous faisons tous nos paquets. Maman y prend une part active. Mais en rangeant, elle aperçoit le portrait de mon pauvre père ; elle m’appelle et tombe anéantie.

M Vignon lui fait boire et inspirer une potion calmante à l’ether , puis à 3h, nous partons tous.

Ma pauvre mère était résignée ; elle n’a pas murmuré une seconde contre la volonté de Dieu. Elle a été admirable de résignation. Le pauvre Emmanuel sanglotait toujours. M de Beauvoir était souffrant. Après avoir pris des chevaux de relais à Briquebec et donné un bouillon à Pierre, on est arrivé à Cherbourg à 8h1/2.

M le François et Mme Vautier ont reçu ma mère dans leurs bras à la descente de la voiture et sont partis dans la salle à manger où nous avons tous pris un peu de nourriture.

Mais j’ai oublié la fatale dépèche qui ne nous donnait aucun détail. Mon bon père est mort le 14 de fièvres prises à Panama ; le corps reviendra sur le Pereire samedi par L de Beauvoir. Il sera au Havre en septembre. Nous savons aujourd’hui qu’il arrivera pour le 3

Le lendemain, mercredi 21, ma mère reçut quelques visites intimes après avoir assisté à la messe dite par M Vignon à N D du V. Nous avaient accompagné Mme Vautier, Mme Carlet et Stéphanie à laquelle j’avais prête mon paroissien.

Mr de Beauvoir alla voir son frère à St Pierre, puis revint le vendredi. Il nous lut une lettre de mon père nous parler de tout les précautions prises pour le cercueil, de l’embaumement, etc.(nous n’apprîmes que quelques jours plus tard que, respectant les opinions (illisible) de mon pauvre père, il n’y avait point eu d’embaumement.)

Ma pauvre mère s’occupait beaucoup de tous ces crus détails et du retour de notre pauvre père. Les ... Prêtres sont venus la consoler ; Mr (illisible) est venu. Mais une terrible souffrance s’est emparée de ses yeux ; nous avons craint beaucoup ; elle va mieux aujourd’hui.

Emmanuel est parti depuis avant hier chez M. Vignon à Fermanville, le pauvre enfant était trop impressionnable.

Je te quitte mon pauvre journal. Je suis bien fatigué d’écrire.

Mercredi 28 août 1867

Cher journal, je viens te retrouver ; me voici de nouveau avec toi, hélas, pour quoi raconter encore ? Pour terminer les tristes détails du mardi 20 août.

Le soir, en descendant de voiture, ma pauvre mère fut conduite dans la salle à manger et l’on se mit à table. Maman voyant que nous prenions nos places ordinaires a fait changer l’ordre. Elle a voulu prendre la place de mon pauvre père, j’ai passé à la sienne et Emmanuel à la mienne.

Le lendemain matin, mercredi 21 août 67, ma pauvre mère a voulu assister à la messe dite par M Vignon.

Depuis ce jour, jusqu’ici, j’ai du écrire tous les jours des lettres aux amis pour leur apprendre l’affreuse nouvelle. J’ai du hélas, tant de fois répéter cette affreuse dépèche. Enfin, je me suis exécuté : j’en suis débarrassé.

Je crois maintenant que j’ai écrit le lendemain même à mon bon Louis ; j’ai reçu une bonne et excellente réponse ; j’ai écrit encore et aujourd’hui, je viens de recevoir la réponse. Nous avons reçu une lettre de L de Beauvoir du 12 août nous donner des détails sur la maladie de mon pauvre père.

Dimanche, j’ai fait la sainte communion ; cela m’a fait tant de bien, m’a donné tant de courage et de force. J’ai reçu plusieurs lettres qui m’ont fait un grand bien. Ma pauvre mère ne pouvant y voir, j’ai du lui lire de nombreuses lettres qu’elle a reçu de toutes parts. J’ai du la voir souffrir horriblement, sans pouvoir y porter aucun secours.

J’ai été deux fois avec maman Cappe au cimetière d’Octeville. La 1ère fois pour choisir la place où l’on déposera mon pauvre père et la seconde fois pour y apporter quelques changements.

J’ai vu quelques uns de ces bons amis que je regrettais à Carteret. J’ai vu Mr Orry dimanche matin en allant à la messe de 7h conduit par M Amiot. M et Mme de Beranger devaient revenir le lendemain, mais Mr de Beranger était souffrant ; Mme de Beranger n’est venue qu’hier.

Pour m’occuper et m’étourdir un peu, j’ai lu de temps en temps Quentin Durward, de Walter Scott, charmant roman historique sous Louis XI, puis j’ai cueilli des poires williams dans le jardin. Me Butel a apporté à maman un livre très consolant que je lui lis tout haut puisqu’elle ne peut encore ouvrir les yeux.

Note d’Albert le 27 mars 1870 ; le livre est, je crois « Au ciel, on se reconnait », charmante et douce idée.

Elle lui a apporté aussi aujourd’hui des Christ de plastique (sic) car nous désirons lui en donner un. Emmanuel est revenu hier de Fermanville. M Vignon lui a fait beaucoup de bien ; il désire que je vienne vendredi. Maman le désire aussi ; elle désire que je prenne un peu l’air ; j’obéirai donc et irai voir mon bon père Vignon.

1er septembre 1867 - Cherbourg

Oui, j’ai obéi et me voici de retour. Il est dix heures et demi du soir et bien que je désire me lever demain de bonne heure, je veux te confier le plus possible mes pensées et mes actions.

Jeudi matin à 9h 1/2, je suis parti seul à pied le long du rivage pour Fermanville où j’arrivai à midi et demi. La chimie occupa le reste de ma journée et même la soirée. Nous rangeâmes et transvasâmes dans des flacons des paquets de cristaux et d’oxydes, presque tous servant dans la pyrotechnie ; la soirée même, je viens de le dire y passa, nous fîmes sur une bougie des feux verts et or superbes.

Le lendemain, je me réveillai à 8h, car les rats avaient fait un tel vacarme au dessus de ma tête que le sommeil ne s’empara de moi qu’à 5h du matin. Nous eûmes du monde au presbytère et je passais une partie de la journée sur l’ennui des grands dîners de cérémonie.

Je m’enfonçais ensuite dans la lecture, mais le père Vignon m’en tira bientôt pour m’emmener promener sur le cap et lorgner la fumasse (bateau à vapeur) comme dit Emmanuel , ainsi qu’un charmant brick et un majestueux trois mats qui étaient à environ 12 ou 15 lieues en mer.

A l’aide de ce puissant télescope, je pus distinguer parfaitement une bouée d’alarme armée d'une cloche à 7 battants et sur laquelle je pus lire « Terre noire », malgré la distance où elle se trouvait de la terre (environ 1 heure). On se laissait vraiment aller au rire en voyant rire une cargaison de promeneurs qui doublaient le cap Levi.

On s’étonnait en voyant le poisson que l’on pouvait reconnaître pour des brênes*, sautiller au bout des lignes des pêcheurs, puis tomber au fond du bateau. Et en voyant les gens si près de soi, on s'étonnait presque de ne pas les entendre parler; je n’en finirais pas si je racontais toutes les merveilles du télescope qui me permit le soir de compter les satellites de Jupiter au nombre de 4 et d’apercevoir des étoiles invisibles à l’œil nu.

Je n’en finirais pas, si je racontais les pérégrinations que je fis faire au petit chat du père Vignon sur une planche lavée dans le réservoir ; pérégrinations souvent terminées par un saut ou un plongeon.

Mais au milieu de tous ces divertissements, la pensée de mon pauvre père mort loin de nous revenait me briser le coeur et m’attrister. Alors, je me rapprochais du père Vignon et peu à peu, j’amenai la conversation sur le ciel, le bonheur des élus, celui de mon bon père et j’étais sur le point de me retirer, satisfait, presque consolé ; puis à ces tristes pensées, en succédaient de moins tristes sur mon avenir ; l’effroi me saisissait en pensant à mon examen de l’année prochaine , le dernier, le décisif.

Oh, avec quelle force, quelle ardeur, je vais travailler, lutter, prier Dieu pour qu’il m’aide et qu’il console ma pauvre mère par mes succès.

Puis enfin, hier encore du monde. Il m’a fallu de la patience, on m’arrachait mon père Vignon. Les personnes bien que Mr Amiot (?) eût demandé de me ramener, ainsi que je le sais aujourd’hui, ne m’ont pas adressé la parole bien qu’elles me connaissent.

J’avais malgré moi remarqué cette froideur qui m’irrite maintenant et lorsque M Vignon me demnda si je ne désirais pas qu’il m’obtienne une place avec eux pour revenir ici, je le priais de n’en rien faire, préférant revenir à pied. Enfin, cet après midi à 2h, je prenais la route de Cherbourg, accompagné d'Aristide Lemarinel et d’Albert le Cher, deux bricquebetais, mes anciens camarades de Valognes.

Le soir, je trouvai ici Mr Pi (?) auquel j’avais été dire bonjour à l’hôtel où il venait d’arriver le jeudi de mon départ. Il avait beaucoup désiré me voir et me donna de bons conseils que je vais tâcher de retracer ici :

« T'es maintenant, Albert, le chef de la famille ; tu dois protéger tes frères et sœur, être le lieutenant de ta mère et la seconder par tes efforts. Tu es l’aîné et tu n’useras pas de ce droit dans le sens du pouvoir physique que du reste tes frères ne reconnaitraient pas.

Tu dois être leur chef sur le plan moral, les guider dans la bonne voie, reprendre Emmanuel doucement, lui faire sentir ses tords sans rigueur, hauteur ou dureté. Que la plus parfaite amitié et la plus parfaite alliance règne entre vous deux. Ne lui parle jamais de rancune. Ne te souviens que du bien et jamais du mal.

Aime ta mère, n’ai jamais aucun secret pour elle, que toutes tes idées lui soient connues, elle est capable de te diriger, rapporte t’en toujours à elle.

Souviens toi de ton père. En toute occasion où l’appui et le conseil de ta mère te manquera, demande toi : Qu'est ce que petit père aurait fait à ma place, qu’en t'il dit, pensé ou fait ? Imite le, marche sur ses traces. Tu m’entends bien, c’est convenu, arrêté : il faut que tu sois reçu cette année.

Écris moi tous les 20 jours, simplement, pas de phrases, je ne les aime pas, mais simplement sans peine, comme tu penses, ; mets en peu, mais que ce soit bien rempli ; s'il ne te vient rien, ne mets rien. Mais toujours une question à la fin, une question tous les 20 jours, ce n’est pas le diable comme on dit »

Oui, certes, je tâcherai de les remplir, ses conseils, mais voici le coucou de la salle à manger et la pendule du salon qui sonnent 11h. Il faut enfin dormir, un peu, bien que j’en ai pas la moindre envie. Bonsoir, mon cher Journal.

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Ecrit « brênes » semble-t-il, mais il pourrait s’agir de brème

lundi 2 septembre 1867 - Cherbourg

Cher journal, le sifflet de la locomotive m’apprend qu’il n’est que 9h c.a.d. qu’il n’est pas tout à fait si tard qu’hier soir. Mais, que d’évènements dans cette journée.

A 6h1/2, je me mettais en route ce matin pour l’hôtel du commerce où je vis Mr Pi (?). Après quelques mots de dissertation sur les gens de ce monde malades de corps, d’esprit ou de coeur qu’on appelle : malades, fous, méchants, il entra dans une longue discussion au sujet de la conduite que je devais tenir envers mes grands parents.

Puis, me tança fortement sur ce que je n’allais pas chez papa Cappe et la réponse que je lui en avais faite auparavant, la brouillerie ; il me tança et me réprimanda plus vertement encore. Enfin, la conclusion et le résumé de ce discours est ceci :

« Tu as grandement tort de te mettre ainsi juge de la conduite de tes grands parents ; tu as justement fait le contre pied de ce que tu devais faire. Ton devoir était d’aller chez le plus malheureux le plus souvent. Il faut donc que tu ailles chez ton grand-père Cappe.

2. Il faut qu’ainsi, et en disant du bien de l’un et de l’autre, en disant à l’un et à l’autre qu’ils s’aiment, il faut que tu les habitues à vivre ensemble et à se voir chez ta mère.

3. Que tu les amènes progressivement à aller l’un chez l’autre et qu’enfin, ils arrivent à habiter ensemble »

Je le conduisis à la gare où se trouvait papa Cappe. Puis, en rentrant ici, j’appris que Mr Pi avait fait mal à maman en lui parlant sévèrement de toutes ces choses et qu’à la suite d’une conversation où se trouvait mêlé papa Cappe, elle s’était trouvée mal pendant près d’une demi heure.

J’avouai ma peine à maman qui me consola avec M et Mme Butel, m’annonçant, au nom de mon père, que j’avais bien agi en agissant ainsi et que j’agirais bien si je continuais de même.

Fin du premier journal d’Albert recopié et annoté par lui en 1869 et 1870.