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Mon bien cher Emmanuel
Comme tu le sais probablement par ma dépèche du 15 juillet si elle est arrivée, certainement, par mes lettres très récentes à Maman, je suis arrivé dans une charmante baie appelée le port de Chefoo.
Je voudrai bien t’en donner dès aujourd’hui une description fidèle, mais auparavant je désire achever le journal non moins intéressant de mon séjour à Pékin que j’ai assez bien mis à profit en visitant nombre de temples et les environs. Je veux donc te parler aujourd’hui de ma visite au temple du Ciel, le plus grand, sinon le plus beau.
Quittant un dimanche de bonne heure notre résidence du Ko lan Hon tong, je pars en compagnie de Fitoulkin (?) et voiture à cheval pour le fameux temple. Un mafou à cheval devait garder nos chevaux à la porte. Traversant les grandes et poudreuses artères qui mènent aux légations, nous passons sous l’antique voûte de la porte du Chien (?) dont les pavés énormes sont usés jusqu’à la profondeur d’un pied par le passage incessant des charrettes.
Nous nous trouvons alors dans une enceinte demi-circulaire percée à son tour de voûtes à portes dont deux, celles de l’est et celle de l’ouest (b et d) sont ouvertes au public. La 3ème, (e) , exposée au sud comme l’ensemble de la muraille de Pékin est fermée et réservée à l’Empereur.
Retranchées à droite et à gauche de la voute principale, se trouvent deux charmants petits temples à tuiles jaunes, ombragés par 1 arbre ou 2 et peints à neuf en sont les seuls vraiment neufs que j'ai vus.
En face la porte, l’immanquable paravent peint d’un côté d’un paysage assez joli en grisaille, de l’autre un dragon fantastique. Au sortir de cette porte, nous traversons le fossé sur un pont de pierre à 3 avenues, c’est le pont des mendiants. L’avenue du milieu étant réservée à l’Empereur, personne ne devait y passer, mais elle est toujours habitée (?) par des bandes de mendiants qui y dorment au soleil.
Pour éviter la voie dallée qui mène droit au temple, nous procédons (?) à gauche par des rues latérales qui ont l’aspect entièrement chinois étroites. On s’y casse la tête à tout moment contre les milliers de planches verticales qui pendent deux par deux à la devanture de chaque boutique. On dirait, de loin, les coulisses innombrables et parallèles d’un théâtre à scène étroite et sans fin. Les planches sont blanches ou rouges ou jaunes et sont couvertes de caractères en creux ou relief dessinés par la main d’un habile calligraphe et peintes en or, noir ou vermillon.
D’autres portent des peintures fort bien faites, des bijoux ou broderies qu’on trouve dans les boutiques, car tu sauras qu’aucune n’a d’étalage. Entièrement ouvertes en été on n'aperçoit qu'un comptoir et des ...
ligne illisible
Cela ressemble à une pharmacie homéopathique. Seules les pharmacies chinoises ont un espèce d’étalage dans le fond qui rappelle celui des loteries de charité à Cherbourg. Sur un comptoir invariablement orné sur le devant d’une large bande de cuivre bien brillante, s’élèvent en pyramide ou plan incliné un étalage de bocaux dorés, le plus souvent flacons de Constantinople renfermant des milliers de drogues chinoises en poudre, morceaux ou, ce qui est typiquement chinois, en granules de la grosseur d’une tête d’épingle, ce qui ne les empêche pas d’être extrêmement énergiques.
Quelque fois, on aperçoit une peau de serpent, des écailles de tortue, des écorces de tout genre, tout cela sont des médecines, voire même des scorpions séchés.
Ce que j’enregistre ici à titre de médecines sur les registres d’un praticien (?) ou exportations est incroyable. La drogue la plus prisée et la plus chère consiste dans les jeunes pousses de bois de cerf ou de daim. Lorsque ces cornes sont jeunes et remplies d’une espèce de sang caillé, elles atteignent des prix fous, quelque chose comme 100 dollars les 500 g.
Quelquefois, devant certaines boutiques, principalement celles des chapeliers, pendent des têtes peintes bien coiffées qui font mourir de rire et rappellent nos enseignes de village. Les brouettes chinoises à roue centrale font entendre le concert le plus criard qu’on puisse imaginer, c’est à faire grincer des dents des personnes à nerfs trop sensibles. Pour ma part, je commence à m’y habituer.
Enfin, reprenant notre direction première, nous passons un second pont de marbre et nous nous trouvons en face d’une perspective magnifique. Devant nous s’étend jusqu'à la porte du Sud une longue chaussée dallée en assez bon état qui s’élève de plusieurs pieds au dessus d’une immense esplanade bordée à l’Ouest et à l’Est de murs fort longs des temples de la Terre et du Ciel.
Pour le moment, la plus grande partie de cette plaine est inondée et il nous faut garder la chaussée jusqu'à l’une des deux chaussées qui viennent la couper en angle droit vers son milieu et conduisent aux portes respectives des deux temples.
Au moment où le gardien nous aperçoit, il s’empresse de fermer la massive porte de bois qui donne accès dans la première enceinte, car elle est soi-disant interdite au européens qui n’y pénètrent qu’en graissant la patte du gardien. Cependant on le surprend quelquefois et, une fois entré, on refuse de lui payer les quelques cashs (?) qu’il demande, aussi il est devenu … (?) et nous devons parlementer longtemps avant de pénétrer à travers les fentes de la vieille poterne. En vrai chinois, il refuse d’ouvrir avant qu'on ne l'ait payé. En gens qui savent à qui ils ont affaire, nous refusons de le payer avant qu’il ait ouvert. Nous nous fâchons après lui avoir fait un sermon au point qu'il se décide à ouvrir.
Nous nous trouvons alors dans une première enceinte fort étendue, contenant d’immenses prairies et de haies de cyprès. Cette partie du temple a été illustrée par nombre de parties de cricket que les étudiants de la légation d'Angleterre venaient jouer régulièrement en passant par dessus le mur démoli en certains endroits. Le mur est maintenant réparé et le cricket a cessé à Peking où il n’y a pas grand terrain criketable.
Après qq minutes de marche, nous arrivons à une seconde enceinte fermée où nous laissons les chevaux. Le portier se décide à ouvrir et nous passons cette seconde circonvallation (tranchée fortifiée). Nous voici dans le terrain même du temple. A droite, se trouve un vaste quadrilatère isolé par un fossé profond sur lequel sont jetés deux ponts de marbre et un de bois. Tout semble refait à neuf. C’est que l’Empereur vient d’y passer. C’est là le palais où il passe en jeûne et prières la nuit et le jour qui précèdent le sacrifice au Ciel.
Nous continuons en droite ligne vers l’Est longeant une avenue dallée qui traverse une véritable bois d'antiques cyprès où nichent des bandes de pigeons ramiers. Il fait chaud, et ces arbres laissent suinter de brillantes perles d’une résine blanche qui embaume l’air. Les chinois la récoltent avec soin dans les cimetières (car les cyprès est exclusivement planté dans les temples et cimetières) et en font une glu excellente avec laquelle ils pincent les pauvres ramiers attirés par les baies appétissantes dans l'herbe fraîche.
Un plan incliné nous conduit sur une haute et magnifique chaussée large et bien pavée qui court Nord au Sud. Nous commençons notre visite par son extrémité Nord où se trouve une porte massive et monumentale qui a une certaine analogie de forme et de grandeur avec celles des temples égyptiens. Elle est percée de trois portes comme toutes celles des temples avec ... (?), celle du milieu réservée à l’Empereur.
On y arrive par trois escaliers de marbre à balustrade sculptée. Celui du milieu possède en son centre une immense dalle de marbre sculptée en haut relief permettant de faire gravir les degrés par un char impérial. Cette pierre comme toutes celles des escaliers que je nommerai désormais est un magnifique morceau un vrai monolithe.
Nous redescendons de même dans une enceinte. rectangulaire possédant à l’Est et Ouest deux grands magasins pour les ornements. Nous traversons une 2nde porte qui ne diffère de la première en ce qu’elle possède 2 grands auvents ou vérandas sous lesquels sont disposés des ornements et entre autres des lanternes monumentales de 10 pieds de haut en forme de maison et garnies de papier rouge.
Dans la cour qui succède et qui est déjà plus élevée que la chaussée, nous apercevons l’autel du Nord. C’est un temple circulaire situé sur la plateforme supérieure d’une triple rangée de terrasses. Cette pagode possède 2 ou 3 coupoles superposées formées de tuiles vernies bleu du ciel. La dernière est surmontée d’un ovoïde doré que l’on aperçoit du nord extrême de Peking. C'est le monument le plusélevé de la capitale.
dessin du temple du nord.
C’est l’autel du Nord. Pour plus de précision, dans le détail, je t’envoie un calque d’un dessin fait par M Edkin, missionnaire ... (?) à Peking. Je prendrai aussi chez lui quelques observations qui ne pourront point être accusé de plagiat, car ne devant jamais être imprimé.
Nous pénétrons dans le temple fermé par un mauvais cadenas chinois. Les trois coupoles dont on aperçoit la charpente sont supportées par de magnifiques colonnes de bois d’un seul jet probablement venues de Java comme on dit de celles des tombeaux des Ming.
Le temple porte le nom de « Autel des prière pour la moisson » Sous la coupole même qui a 90 pieds d’élévation, s'élève un trône orné d’un paravent aux sculptures magnifiques. Les chinois excellent dans ces sculptures où le bois est taillé à ... et … en tous sens. Ici le fameux dragon s’enroule dans les nuages.
Devant le siège de l’Empereur se trouve la table d’offrandes et des deux cotés, les sièges pour les grands de l’Empire, chacun avec leur table d’offrandes et d’immenses chandeliers de bois doré. Rien d’autre chose; ni statues, ni peintures.
Les fruits qui font tout le tour sont formés d’un treillis de bois laqué en rouge et doré. Entre les deux, des stores formés de minces baguettes de verre bleu réunies en natte ou store par des fils de cuivre. De sorte que la lumière est agréablement teintée à l’intérieur, mais l’effet est superbe quand on regarde à l’extérieur à travers ces stores. Le paysage prend de magnifiques teintes bleues. Comme beaucoup de ces stores sont brisés, j’y ai pêché... (?) quelques bouts de ces baguettes que j’ai conservé en souvenir.
dessins Albert
Satisfaits (?) de nous être enfoncés dans la poussière jusqu’à la cheville, nous quittons le sanctuaire et descendons l'un des 8 escaliers qui donnent accès sur cette terrasse. L’entrée de chacune est ornée en haut et en bas de deux lourds ….. de bronze ou de fer fort ancien. Au nord de cet autel se trouve un temple où l’on garde les tablettes des Empereurs et celles du Maître du Ciel.
Sortant de l’enceinte rectangulaire, nous descendons un long couloir incliné et couvert qui nous amène aux grands auvents formés de papier qui servent de réfectoire à a nombreuse suite de l’Empereur.
Dans une cour, nous trouvons un puits dont l’eau est, dit-on, la meilleure de Pékin. Aussitôt, nous tirons la corde de soie bleue et nous ramenons un vieux panier d'osier à même lequel nous buvons. L’eau ne paraît pas mauvaise mais nous l’aurions trouvée meilleure si la corde de soie nous eut amené un seau ... (?)
Nous allons visiter la cuisine des dieux, où sur des tables d’un pied d’épaisseur on découpe des bœufs, qu’on jette par quartier dans d’immenses chaudières scellées 4 par 4 dans un fourneau de briques et qui ressemblent fort au cabanes à lard des navires baleiniers.
Dessin d’Albert
Nous nous promenons un instant dans le foin coupé …...de la ….. sacrée et remontons sur le grand chemin, en route pour l’autel du sud.
Cette chaussée est pavée sur son aire de pierres immenses formant le chemin conduisant … (ligne illisible)
Un nouveau mur quadrangulaire qui, au moyen de 3 portiques de marbre blanc, nous donne accès dans une magnifique cour carrée au centre de laquelle s’élèvent 3 terrasses majestueuses en marbre blanc. En tout pareil à celle du nord, sauf qu’elles n’ont que 4 escaliers correspondant aux 4 points cardinaux et aux 4 portiques d’un nouveau mur circulaire, mais cette fois à hauteur d’appui.
La largeur de la base est de 210 pieds, La largeur à la moyenne terrasse est de 150 pieds. La largeur à son sommet est de 90 pieds.Tous nombres contenant un multiple de 3.
Les hauteurs respectives, et dans le même ordre, sont 5 pieds 72, 6 pieds 22 et 5 pieds (à vérifier- peu lisible)
La plateforme est pavée de 9 cercles concentriques de marbre. Le cercle intérieur a 9 pierres qui viennent s'appuyer sur une seule pierre parfaitement circulaire, formant le centre. C’est sur cette pierre que s’agenouille l’Empereur pour offrir ses adorations au Ciel. Pendant que vers le Sud-Est de la cour, on brûle un bœuf dans un fourneau dont je parlerai plus loin.
Le nombre des pierres des 9 cercles augmente par multiple de 9, 18, 27 et jusquà 81, nombre favori de la philosophie chinoise. Ils ne se sont pas arrêtés là dans cette construction entièrement …… aux nombres exacts.
Par exemple : les balustrades de plateforme ont respectivement 9X8 : 72, 9X12 : 108 et enfin, 180 pilastres, soit au total 360. Les escaliers ont chacun 9 marches , en tout 27 marches pour chaque volée complète. En tout : 108.
Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ; la terrasse du milieu a deux cercles pavés de 90 et 162, soit 9X9X2 pierres soit le double de ... qui est le nombre de pierres du cercle intérieur de la terrasse supérieure.
Si nous descendons maintenant à la première terrasse, nous avons pour les cercles 171 et 243 soit 9X9X3. Tu vois l’idée de progression .
Je termine en disant que les nombres impairs ou « ronds » appartiennent ou sont consacrés au Ciel. Les nombres pairs ou « carrés » à la terre.
A l’Ouest de de cet antique autel, sont des immenses mats rouges, souvent des mats de pavillons. Pour le moment, ils sont encastrés dans un fouillis immense et inextricable d’échafaudages formés de longs fagots de minces et longues branches encastrées bout à bout ; cela est entièrement peint en rouge. Je me creuse la tête à savoir à quoi cela peut servir. C’est peut être pour repeindre et revernir les grands mats de pavillon.
A Sud-Est, se trouve le fourneau des sacrifices qui, à première vue, par sa forme et l’idée qui s’y rattache , rappelle involontairement l’autel des sacrifices de l’ancien testament. Il est entièrement construit de briques vernissées de couleur verte et on monte sur son sommet au moyen de trois escaliers de 9 marches , toujours le nombre symbolique. Ces escaliers sont Nord Sud Est Ouest.
Voir dessins d’Albert en marge)
Près de là, coupant à 45° l’angle de la cour carrée, se trouvent environ 7 grands braseros de fer forgé où brûle, dit-on, des balles de soie en sacrifice. On remarquera que dans cet antique temple de Péking il ne se trouve aucun... (fin de la page illisible)












